Pierre Bienvault, 7/9/2018
À partir du 15 septembre, tout patient pourra faire une téléconsultation avec son médecin, via un ordinateur et une connexion sécurisée. Objectif : améliorer l’accès aux soins notamment dans les déserts médicaux. Avec cette nouvelle étape, la médecine à distance, déjà utilisée notamment pour les personnes vivant en Ehpad, pourrait décoller.
La télémédecine va-t-elle enfin décoller en France? En tout cas, un vrai tournant va se produire le 15 septembre. À partir de cette date, en effet, tout patient pourra consulter son médecin sans se déplacer à son cabinet. Juste via une visioconférence depuis son ordinateur ou sa tablette. Le dispositif sera certes très encadré. Et il faudra certainement encore un peu de temps avant que ces téléconsultations soient pratiquées de manière routinière. « Mais il s’agit d’une étape très importante, assure Lydie Canipel, secrétaire générale de la Société française de télémédecine (SFTM). Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de consultations chez le médecin, poursuit-elle.
Mais dans certains cas, les nouvelles technologies vont être très utiles, en particulier pour favoriser l’accès aux soins dans les déserts médicaux. » La télémédecine ? En fait, cela fait plus de quinze ans qu’on en parle en France. Des grands principes sur son périmètre ont été inscrits dans une loi de 2010. Mais depuis, les choses ont avancé doucement, avec des expérimentations régionales menées essentiellement par des hôpitaux. Le principal frein restait la rémunération des professionnels de santé. Jusque-là, en dehors de ces expérimentations, un médecin n’était pas rémunéré quand il faisait un acte de télémédecine. Et c’est précisément ce qui va changer à partir du 15 septembre : grâce à un accord conclu en juin, entre l’assurance-maladie et les syndicats médicaux, une téléconsultation rapportera 25 € au généraliste, exactement comme pour une consultation classique au cabinet. Et le patient sera remboursé de la même façon.
Un concept pour plusieurs pratiques
Au cours des prochaines années, les Français vont donc devoir se familiariser avec la télémédecine. Un concept un peu général qui regroupe en fait des pratiques assez différentes.
Certains, par exemple, ne jurent que par les outils connectés, en particulier dans les pathologies chroniques, comme le diabète ou l’hypertension. L’objectif, ici, est de suivre de manière régulière certains paramètres médicaux et biologiques du patient, afin d’ajuster un traitement mal adapté et éviter certaines complications. « Par exemple, j’ai une voisine de 87 ans qui souffre d’hypertension, indique Lydie Canipel. Son médecin lui a prescrit un tensiomètre à domicile. Avec cet appareil, elle peut prendre elle-même sa tension, en restant chez elle. Cela donne tout d’abord des indications plus fiables car cela évite “l’effet blouse blanche” : il est prouvé en effet que votre tension augmente toujours un peu dans le cabinet du médecin. »
Après chaque prise, cette dame note le chiffre fourni par son tensiomètre, afin de pouvoir en parler avec son médecin à la prochaine consultation. « Mais on pourrait aussi brancher le tensiomètre à la tablette que ses enfants lui ont achetée. Dans ce cas, les données seraient automatiquement envoyées au médecin », souligne Lydie Canipel. Cette télésurveillance est aussi utilisée chez les patients ayant upacemaker cardiaque. « Celui-ci est relié à un petit boîtier qui va transmettre les données à une équipe hospitalière qui pourra réagir à la moindre alerte », indique le professeur Nathalie Salles, gériatre au CHU de Bordeaux, qui prendra en décembre la présidence de la SFTM.
La téléexpertise pour avoir l’avis d’un médecin spécialisé
Les spécialistes misent aussi beaucoup sur la téléexpertise, permettant à un professionnel de santé d’avoir un avis d’un confrère spécialisé. Très touchée par les déserts médicaux, la région Normandie soutient ainsi un programme de dépistage du mélanome dans la ville de L’Aigle. Une maison de santé y a passé une convention avec un dermatologue basé à Caen. « Si un généraliste repère un grain de beauté suspect chez un patient, il va faire des photos qu’il va envoyer à ce dermatologue via une plateforme sécurisée. Ensuite, si le dermatologue estime cela nécessaire, le patient ira le voir. De cette manière, on peut faire du dépistage chez des patients qui, pour certains, n’ont jamais vu un dermatologue de leur vie », indique Karine Hauchard, responsable de la télémédecine au sein du groupement Normand’e-santé.
Demain, des consultations médicales à distance?
Dans cette région, la télémédecine est aussi utilisée pour améliorer la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (AVC) aux urgences des hôpitaux de Cherbourg, Avranches- Granville, Dieppe, Évreux, Flers, Argentan, L’Aigle et Alençon-Mamers. « Dans ces services d’urgence, il n’y a pas de neurologue. Si un patient arrive avec une suspicion d’AVC, on va lui faire un examen d’imagerie (IRM ou scanner) puis le service va se mettre en visioconférence avec un neurologue de Rouen, Saint-Lô, Caen ou Lisieux pour poser le diagnostic », indique Karine Hauchard. Si nécessaire, ce neurologue va ensuite guider l’urgentiste pour qu’il réalise une thrombolyse, un traitement permettant de déboucher les artères du patient.
Le CHU de Bordeaux, en liaison avec 55 maisons de retraite. Ces dernières années, de nombreux projets de téléconsultation ont aussi été menés dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). La région la plus avancée dans ce domaine est l’Aquitaine. Aujourd’hui, le CHU de Bordeaux assure des consultations à distance avec 55 maisons de retraite de Gironde et de Dordogne. Ces établissements se sont tous dotés d’un équipement de télémédecine, avec en général une salle réservée aux consultations qui se déroulent toutes un peu sur le même modèle. À l’heure du rendez-vous, la personne âgée se rend dans cette salle, le plus souvent en compagnie d’une infirmière. Sur un écran, elle peut voir le médecin du CHU et vice versa. Le praticien va alors dialoguer avec la patiente et avec ses soignants qui, si besoin, pourront réaliser différents examens (tension, température…). « Nous réalisons environ 70 téléconsultations par mois avec des
Ehpad. Nous pouvons faire des consultations de cardiologie, de dermatologie, de gériatrie… Nous pouvons donner un avis sur un problème d’escarre ou d’une plaie qui cicatrise mal, par le biais d’une caméra dirigée par l’infirmière », explique le professeur Salles.
La télémédecine sera bientôt une réalité en France
Comment cette téléconsultation est-elle vécue par les résidents? Dialoguer avec un praticien via un écran ne revient-il pas à déshumaniser une médecine qui n’a plus recours au toucher, ni à la palpation? « Tout ne peut pas être fait par télémédecine. Si la personne a besoin d’être examinée physiquement par un médecin, on fait une consultation classique », assure Lydie Canipel. « C’est en général très apprécié par les résidents qui sont très contents d’avoir accès à un médecin sans avoir à se déplacer à l’hôpital. C’est un gros atout. Car certaines personnes vivent très mal ces déplacements, souvent fatigants et stressants », indique Nathalie Tyssandier, cadre à l’Ephad de Saint-Astier (Dordogne).
« Non, je n’ai pas le sentiment de faire de la médecine déshumanisée. Au contraire. J’ai souvent le sentiment que les patients sont plus réceptifs car ils sont dans leur cadre de vie habituel, aux côtés de soignants qu’ils côtoient tous les jours. Quand ils viennent à l’hôpital, bien souvent, ils ne disent rien tellement ils sont angoissés à l’idée qu’on va les garder », indique le professeur Salles. Selon elle, il est aussi possible de faire des consultations avec des patients souffrant de troubles du comportement liés à une maladie d’Alzheimer.
« Au début, on pensait qu’ils allaient être très perturbés par l’écran. Mais, en fait, non. Il arrive parfois que cela soit délicat quand la personne est très agitée mais dans l’ensemble cela se passe bien », assure le docteur Pierre Espinoza, qui récuse l’accusation de « médecine au rabais » parfois brandie au sujet de la télémédecine. « C’est un outil qui permet surtout de rapprocher du soin des personnes qui, bien souvent, ne voient plus de médecin. »